Une soirée mouvementée à Auchy, le dimanche 6 février 1746

On trouve aux Archives Départementales le récit de nombreuses affaires criminelles touchant notre commune. La plupart sont dramatiques. Celle qui nous est relatée ici est plus anecdotique mais elle se révèle tout aussi intéressante car on y trouve le déroulement de l’affaire (100 pages d’instruction et de témoignages), des certificats médicaux d’une étonnante précision pour l’époque et une description des mœurs villageoises du  XVIIIe siècle.

Il s’agit d’un procès criminel fait à la requête de Philippe-Charles Deregnaucourt contre Pierre Hoel, Pierre Dhélin (valet de Bernard Desmons), Jean-Baptiste et Bernard Desmazières, Charles Macq, dit “Bailly”, François Saintsoilier, Louis Dhélin et Pierre-Philippe Facq (valet de Pierre Dupont à Cappelle).

Accusés et témoins sont entendus  en la chambre ordinaire de justice, chez Pierre Fossiés, cabaretier sur la place, à l’enseigne de la Maison Rouge.

Le mayeur de la seigneurie des Dames de Flines à Auchy, Bernard Desmons procède aux interrogatoires, assisté de ses échevins : Antoine Desmons, Mathieu Grégoire Hornet et Bernard-François Dupire.

Bernard Desmazières, 21 ans, ménager chez son père, déclare que : … le 6 février 1746, à la suite des vespres paroissiales, il est entré en compagnie d’autres chez Timothée Defurnes, cabaretier au hamel du Pont pour  y boire de la bière

Etaient présents des jeunes gens des hameaux du Hem et de Regnaucourt     (les quatre frères Deregnaucourt, Philippe Blondeau ( valet de Mathieu Hornet), Pierre-Martin Descatoire et Léopold Broutin  qui estoient d’une même bande ).

Ledit Blondeau avoit frappé sur la table et culbuté et épanché les pots et la bière qui estoient sur ladite table. Jean-Baptiste Desmazières qui estoit à jouer aux cartes à côté s’est reçu de la bière épanchée sur ses habits. Il s’est levé, demandant “si s’estoit à luy que l’on en vouloit” et que “qui casse les pots et qui épanche la bière les payera”. Les jeunes ont répondu qu’ils ne les paieroient point et ledit Facq, du party  de Desmazières, s’est reçu un coup de pot sur l’épaule, les chandelles se sont éteintes puis tous se sont jetés les uns sur les autres.

Interrogé pour savoir si c’était le vrai motif de la bagarre, Desmazières avoue que c’est une pique de jalousie entre Pierre Hoel et Alexandre Deregnaucourt qui est à l’origine de l’incident  à raison qu’ils voient l’un et l’autre la fille de Mathieu Hornet.

Puis Desmazières reconnaît que, avec ses camarades des hameaux du Pont et de la Planque, alors que les autres étaient sortis de la taverne,  il avoit crié : “voila les foutus gens et j’en foutre du hameau de Regnaucourt qui s’en vont par le pavé” et que plusieurs d’entre eux dirent : “allons, poursuivons-les !”, au sujet que les autres disoient : “Viens, je t’attends, si t’as du cœur !”.

Jean-François Conia, tailleur d’habits et Dominique Dujardin, meunier, attestent que ce dimanche, sur les 6 à 7 heures du soir, ils ont vu ceux du Pont et de la Planque frapper à grands coups par quatre ou cinq sur Philippe-Charles Deregnaucourt, qui estoit renversé par terre nonobstant qu’il crioit et demandoit quartier…

Tous étaient armés de bâtons et d’outils et le dit Pierre Hoel, armé d’une bêche, est finalement accusé d’avoir blessé “à plaie ouverte et sang coulant” Philippe-Charles Deregnaucourt. Notons que Pierre Hoel reconnaît que la bêche était bien la sienne mais qu’il la tenait en main pour éviter qu’un autre n’en fasse mauvais usage !

Ferdinand Delemer, licencié en médecine et Yves Waroquier, chirurgien juré de la ville d’Orchies établissent un premier certificat médical, le 7 février : …certifions nous être transportés en la maison de Martin Deregnaucourt, au hamel de Regnaucourt où estant entrés par le jardin dans une chambre à gauche, avons examiné ledit Ph-Charles Deregnaucourt, couché dans un lit et lui avons trouvé une plaie à la tête sur le pariétal droit, large de 3 doigts qui pénètre jusqu’au péricrâne et longue de 4 doigts et une autre plaie sur le doigt du milieu à la partie interne de la main droite. Estimons qu’il faut l’espace de 9 jours pour juger s’il y a danger de mort ou point et que le coup fut fait par un instrument tranchant.

Les médecins réservent leur pronostic car, très souvent, des blessures à priori bénignes s’infectent par manque d’hygiène et beaucoup meurent de septicémie.

Le 17, les mêmes, accompagnés du sieur Hornet, licencié en médecine et de Jean Wuillart, maître-chirurgien de la résidence de Bersée déclarent l’avoir visité, pansé et consulté conjointement tous les jours depuis ses blessures reçues, auquel blessé est survenu une fluxion de poitrine le troisième jour, accompagnée de grandes difficultés de respirer et crachements de sang et toux violente, causés par quelques coups de bourrade d’un instrument contondant qu’il avoit reçu à la poitrine, ce qu’il nous a déclaré seulement deux jours après notre premier rapport, pour, auquel mal pressant remédier, nous lui avons fait cinq saignées, prescrit et administré plusieurs remèdes tels que juleps pectoraux (sirops) et looch expectoratifs*. Et, comme tous les mauvais signes et symptômes, tant de ses plaies que desdits coups reçus sont presque entièrement levés, nous estimons qu’il est hors de danger de mort, moyennant qu’il observe le régime exact que nous lui avons prescrit…

Finalement, Pierre Hoel sera condamné à l’amende de 6 florins vers le seigneur et les ¾ des dépens du procès ; les autres à 60 sous d’amende et le ¼ des dépens. Les dépens comprennent les honoraires des quatre médecins qui sont venus tous les jours d’Orchies et de Bersée, les « frais de bouche » des échevins et le salaire du sergent qui s’est déplacé chez les différents témoins et accusés pour les convoquer.

Ni Pierre Hoel, ni Alexandre Deregnaucourt n’épouseront la fille de Mathieu Hornet (l’un des plus riches laboureurs du village). Philippe-Charles et Alexandre Deregnaucourt resteront célibataires et Pierre Hoel épousera une de ses cousines Marie-Ursule Hoel. La rivalité entre jeunes gens de différents villages était chose courante autrefois mais, à Auchy, on constate que cette rivalité s’appliquait également entre  jeunes des différents quartiers.

*Looch expectoratif : les latins l’ont appelé linctus car on le prend en léchant. On le fait avec des sucs de plantes, d’amandes, de sucre, etc. parfois avec le poumon de renard, qu’on tient singulier contre les ulcères du poumon (dictionnaire de Furetières paru en 1690)

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